Gisèle HALIMI née Taïeb (1927-2020)

Battante, insoumise et avocate

Gisèle Taïeb nait en Tunisie à La Goulette dans une famille juive de quatre enfants. On ne semble guère s’intéresser au sort des filles dans cette société. Son père était clerc d’avocat. Vexé d’avoir une fille, il mit une quinzaine de jours avant de communiquer la nouvelle de sa naissance dans son entourage ! Dans son éducation, Gisèle fait vite montre de résistance. Elle entame une grève de la faim afin d’avoir droit à la lecture. Dans cette famille il n’y a quasiment pas de livres. Gisèle s’inscrit dans une bibliothèque et lit la nuit en cachette ! Elle aime passionnément l’école et apprécie la confiance que sa professeure de Français lui témoigne. Dans les inégalités entre fille et garçon en famille, Gisèle refuse obstinément de faire le lit de son frère aîné au prétexte que « ce n’est pas juste ! ». A seize ans elle refuse un mariage arrangé puis obtient difficilement de ses parents de partir faire ses études de droit à Paris, elle avait réussi à décrocher une bourse. En Sorbonne elle suit en parallèle des cours de philosophie.

Rentrée diplômée à Tunis elle s’inscrit au barreau en 1949. Son caractère passionné l’amène vite à militer pour l’indépendance de son pays. En 1952 elle rencontre Habib Bourguiba encore en exil. À quelques temps de là elle doit défendre le dossier d’un Tunisien condamné à mort et solliciter la grâce présidentielle de René Coty. Elle avait travaillé avec ardeur sa plaidoirie : la vie d’un condamné reposait sur ses épaules !

En 1956, elle s’installe en France et épouse Paul Halimi, administrateur. Ils ont deux fils. Après son divorce, Gisèle rencontre Paul Faux, avocat gagné aux idées féministes. Elle se remarie. Un troisième fils naît de cette union durable.

Pendant la guerre d’Algérie Gisèle Halimi plaide pour un client algérien jugé et condamné à mort. Elle obtient sa grâce auprès du Général de Gaulle. L’avocate milite auprès de ceux qui signent en 1960 le Manifeste des 121. Elle fut l’une de des rares femmes avocates à défendre des fellagas, ce qui lui valut des menaces de mort, des crachats et des huées à la sortie des audiences. Quand Gisèle apprend qu’une jeune algérienne Djamila Boupacha, membre du FLN, est accusée d’avoir posé une bombe, et qu’elle a été arrêtée, torturée et violée par des soldats français, elle décide d’être son avocate et commence une longue bataille auprès des médias. Elle contacte des intellectuel.les et entraîne Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre dans un comité qui compte Germaine Tillon, Louis Aragon, Geneviève de Gaulle-Anthonioz. Gisèle rencontre le directeur du Journal Le Monde, Hubert Beuve-Méry, et fait rédiger d’urgence un article sur l’affaire Djamila Boupacha. En dépit de la plaidoirie de Gisèle Halimi la jeune algérienne est condamnée à mort, mais elle bénéficia de l’amnistie après la signature des accords d’Evian.

Intéressée par l’action politique et par l’engagement en faveur des femmes, Gisèle fonde en 1965 le Mouvement démocratique féminin avec Évelyne Sullerot et Colette Audry : ce mouvement soutient la candidature de François Mitterrand à la présidence de la République.

En 1971, Gisèle fait partie des signataires du Manifeste des 343 publié dans le Nouvel Observateur : 343 femmes déclarent avoir eu recours à l’avortement, violant ainsi la loi de l’époque. Gisèle plaide pour que les femmes aient accès à une contraception choisie (la loi Neuwirth accordant l’accès à la pilule date de 1967). Avoir signé le Manifeste vaut à Gisèle une convocation auprès d’un des membres du conseil de l’ordre des avocats : elle écope d’une sanction. Cependant elle estime que sa dignité d’avocate ne saurait en rien museler sa liberté de femme ! La même année, elle fonde avec Simone de Beauvoir le mouvement « Choisir la cause des femmes » s’associant ainsi aux différentes luttes féministes.

En 1972 Gisèle accepte de plaider au tribunal de Bobigny la cause d’une jeune-fille de seize ans, Marie-Claire, violée par un lycéen. Sa mère a été sa complice pour l’aider à trouver une « avorteuse ». Lors de ce procès Gisèle fait venir des témoins de poids dont le professeur de médecine, Paul Milliez. Marie-Claire est relaxée. Le « procès de Bobigny » est une étape sur le chemin de la loi d’interruption volontaire de grossesse portée par Simone Veil devant l’Assemblée nationale et enfin promulguée en 1975. Les féministes réclament alors que le viol soit reconnu comme un crime, mais elles ne sont guère entendues.

Mai 1978 : devant la cour d’assises des Bouches-du-Rhône, deux jeunes filles belges lesbiennes qui campaient dans les calanques ont été violées par trois hommes. Elle ont porté plainte, Gisèle Halimi défend les deux femmes et obtient la condamnation des violeurs. Ce procès retentissant, qui valut à l’avocate d’être injuriée et menacée, ouvre cependant la voie vers la loi de 1980 qui reconnait le viol comme crime.

Maître Halimi continue de s’intéresser à la politique, elle se présente en 1981 comme députée apparentée socialiste dans l’Isère (IVème circonscription). En 1985/86 Gisèle Halimi est ambassadrice de France auprès de l’Unesco.

Gisèle aimait aussi tenir la plume comme écrivaine, elle publia une quinzaine d’ouvrages dont certains de souvenirs : Le lait de l’oranger (1988) et Histoire d’une passion (2011).

Lors d’un des derniers entretiens accordés à une journaliste du « Monde » en septembre 2019, Gisèle donnait son sentiment pour continuer à faire avancer la cause des femmes : elle prônait la sororité et la solidarité. Les femmes en s’unissant peuvent gagner en force, désunies elles restent vulnérables.  Ensemble les femmes «  représentent une force de création extraordinaire. Une force capable de chambouler le monde, sa culture, son organisation, en le rendant plus harmonieux. Les femmes sont folles de ne pas se faire confiance, et les hommes sont fous de se priver de leur apport. J’attends toujours la grande révolution des mentalités ». Gisèle estimait que les femmes doivent acquérir l’indépendance économique et ne jamais se résigner face à tout ce qui peut attenter à leur dignité. Rien ne se fait sans passion……

Catherine Chadefaud
Secrétaire générale de Réussir l’égalité femmes-hommes
3 aout 2020

Femme de gauche, femme libre, Maître Halimi, humaniste et féministe, s’en est allée, ce mardi 28 juillet 2020, à l'âge de 93 ans. Attachée à Simone Veil et à Simone de Beauvoir, elle n’a cessé de se battre au nom de tou.te.s les laissé.e.s pour compte.

Nous l’admirions. Elle va beaucoup-beaucoup nous manquer : il était confortable d’être protégées par son savoir, son expérience, son courage et sa probité. Maintenant notre responsabilité est de mériter, d’honorer et de faire prospérer les valeurs qu’elle nous a laissées.

 

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Vidéo de Gisèle Halimi contre le port du voile